Auschwitz Karnaval 

Le livre arrive avec une nouvelle couverture,

un début entièrement revu,

et un texte retravaillé.

Il est disponible depuis avril 2016.

 

300 pages. - 18 € format papier chez votre libraire habituel

4,99 € en numérique

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Avertissement

  Comme je l'avais laissé entendre, j'ai entièrement revu le texte de ce livre avant sa réédition.

  Aujourd'hui c'est chose faite. 

  Les modifications ont essentiellement porté sur le début, qui me paraissait trop sombre, trop peu clownesque par rapport à la suite. J'ai donc revu les deux personnages principaux, que j'ai extraits du cirque où les employait leur oncle, et où il vivaient des moments on ne peut plus agréables, pour les transporter sans ménagement à Auschwitz.

Pour le reste, aucune modification majeure. Juste un nettoyage au cours duquel nombre d'adjectifs et d'adverbes sont passés à la trappe.

  Ne me restait plus qu'à réaliser une nouvelle couverture, que je voulais plus parlante que l'ancienne.

  À ce sujet, j'ai eu nombre d'idées, qu'il m'a fallu finaliser. Mon fils Romain, expert en réalisation d'images, m'a donné le coup de main d'un professionnel. 

  Une dernière chose : le titre est resté ce qu'il était, AUSCHWITZ KARNAVAL. En effet, l'horreur du terme d'Auschwitz est contrebalancé par le côté facétieux du visuel.

 

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Référence

 Ainsi que l'a écrit Jorge Semprun, écrivain espagnol rescapé de Buchenwald, “ maintenant que les témoins directs ont disparu, c'est aux auteurs de fictions de prendre le relai.“

 

  Sans se cacher derrière les périphrases de la bien-pensance, c'est ce qu'a fait l'auteur de ce roman peu ordinaire.

 

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Voici donc

  Voici donc, après "Les Bienveillantes", où l'enchaînement des exactions est vécu du côté de la schlague, une version d'autant plus allègre de cette période que, si le réalisme n'en est pas exclu, il s'applique  désormais aux bourreaux. D'autant que ceux-ci auront largement mérité les sévices

dont ils sont les victimes.

 

  Cela sans trahir l'Histoire officielle, simplement en la faisant passer

cul par-dessus tête, et en plongeant avec délice une plume sans complexe dans le sang des salopards.

 

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Extraits

 Pages 8  - Le Convoi

 

Un soir de mai, un gradé qui avait assisté à la repré­sentation et en avait pissé dans sa culotte, nous avoua-t-il, nous a priés, dans le but de nous présenter à la fine fleur de son état-major, de l’accompagner à l’hôtel où il résidait. Quelques instants plus tard, toujours en tenue de travail, nez rouges et flûtiaux à la main, nous pénétrions au Crillon, où nous fûmes aussitôt entourés. Décolletés, champagne, et allons-y pour une impro devant ces messieurs et leurs belles, et que je te perds ici une godasse, et que mon pantalon se décroche, et que tout le monde se marre et nous tape sur l’épaule… C’est ainsi que nous eûmes nos entrées dans ce haut lieu des troupes d’occupation, et que nous sûmes en profiter. Jusqu’au moment où, à la suite d’une mésaventure dont je m’en vais vous entretenir, nous nous retrouvâmes, après vérification de nos identités, coups sur le crâne, rinçage à l’eau de vaisselle — j’en passe et des meilleures — via la rue des Saussaies embarqués pour Drancy, puis dirigés vers Pétaouchnok.

Là, dans le fichu convoi qui nous menait dieu sait où, nous n’étions plus les seuls à nous ronger les sangs. Les gens que les nazis avaient entassés dans les immondices des camps provisoires, en plus d’avoir comme nous laissé der­rière eux leur superbe, n’avaient plus rien d’humain, si ce n’est le sentiment d’humiliation que laissaient percevoir dos voûtés, yeux cernés, costumes en loques et robes à mettre à la poubelle. Se trouvaient là en effet, dans ce haut lieu de la civilisation, autant de femmes que d’hommes. et même des gosses aux trognes enluminées de crasse. Ayant perdu mère, père et toute protection familiale dans la panique du départ, certains mendiaient un quignon de pain, un rogaton ou un verre d’eau.

Bravo les boches, et bravo Vichy !

Toute notion du temps se perdit ainsi dans une pro­miscuité pesante, chacun s’évertuant à ne pas se laisser broyer par une masse abîmée dans un silence de mort où le tacatac des roues semblait ne jamais devoir cesser, non plus que la bouillie mentale brouillant toute perspective. On s’était retrouvé à plus de cent, bouclés de l’extérieur, dans des wagons prévus pour quatre chevaux, deux baudets et deux ânes. Avec en sus, pour Mordekhaï et moi-même, en souvenir d’une liberté que nous ne retrouverions jamais — nous l’avions vite l’avait compris dans le regard terrifiant d’un Führer encadré sur le mur — deux naseaux effroyables braqués sur notre effarement.

Les naseaux de Rottenschwein.

 

Page 35 - Premier contact avec Auschwitz

 

   Mordekhaï et moi-même n’avons pas eu besoin de nous consulter. Un échange de regards, et tout s’est accompli dans une pagaille indescriptible. Tandis que les matraques s’abattaient au hasard, que les gosses se pendaient à leur mère, que les mères s’accrochaient aux maris, qu’une mamie cabossée s’affaissait à nos pieds alors que son conjoint se faisait estourbir, nous nous sommes élancés…

(…)

Néanmoins, il est à croire que c’est en notre adrénaline, en la fusion de nos ultimes ressources, que nous avons projeté nos chaussures dans des bas-ventres des gardiens, que nous avons jailli au-dessus de leurs chiens, avons effec­tué le roulé-boulé qui nous permit d’éventrer le premier des molosses qu’on lâcha à nos trousses. Les suivants, enquillés dans sa tripaille fumante, encaissèrent des coups de crosses les privant de repères, les amenant à se retourner contre leurs maîtres. Fuyant sous la mitraille, nous percevions des jurons, des craquements de cartilages, des hurlements de douleur que couvraient à peine les ordres et contrordres. Eblouis par les projecteurs qui tentaient de nous suivre, les S.S. s’entre-canardaient, d’un autre côté servaient de casse-croûte à une chiennerie mise en rogne par leurs coups. Ça braillait de partout, ça lançait des jurons à hérisser le poil et ça vociférait, ça aboyait et se ruait sur tout ce qui bougeait ou ne bougerait plus, ça mitraillait au petit bonheur des uns et au malheur des autres. Les corps roulaient dans la poussière, les semelles dérapaient dans des hachis d’or­ganes et envoyaient se faire foutre les victimes de fractures, d’enfoncements de casques et de gueules à faire peur au lever des couleurs, le lendemain à l’aube, dans un camp qu’on aurait imaginé de Palestine travaillée par les chars de Tsahal ou d’Irak opéré au scalpel par les cow-boys de Number One.

 

 

Page 68 - Le foutre nazi

 

En un mot comme en cent, le nazi évoquait le pitbull, parfois le loup dans sa manière de pratiquer la chasse, de fondre sur sa proie et de l’anéantir, puis de poursuivre une trajectoire qui le ramenait, au sein de sa horde grondante, au pied de la tribune où se tenait son maître : un mâle qui ne plaisantait pas, qui ne jouait pas, qui ne jouissait jamais car c’eût été déchoir, et devant lequel chacun disparaissait dans le glacis d’une assemblée aux ordres. C’était alors une messe où s’exhalait l’énergie la plus sombre, où s’amplifiait jusqu’à chasser le Seigneur de son empire le satanisme d’un discours qui n’avait rien d’humain. Ni applaudissements ni vivats en retour, mais un Heil gigantesque éjaculé des innombrables gueules d’une hydre environnée de feu, la vocifération finale se transformant en hymne à muter l’or en plomb, à vous porter au Nirvana si vous étiez une chienne, à vous glacer le sang si vous gardiez par-devers vous une once d’humanité. Et les Teutons en marche vers leur tombeau d’adorer de bonne foi le plus macabre des bouffons, de s’aligner à ses pieds pour recevoir de lui le foutre qu’il postillonnait de sa voix rocailleuse et que chacun gobait, et dont chacun se nourrissait. Comme des millions de ses semblables, le commandant avait choisi la voie du mal et baissé sa culotte, tendu son arrière-train, reçu en son intimité la grâce et le pouvoir de nuire.

 

Page 104 - Cabriolet

 

D’après 201-302 (Cabriolet pour les intimes), c’était la meilleure daube qu’il eût consommée depuis longtemps — longtemps ne devant pas remonter loin puisque les gars de sa condition étaient au bout de quelques mois, comme leurs prédécesseurs, extraits de la chambre à gaz où ils avaient péri, hissés et enfournés par les nouveaux bénéficiaires du poste. Car les Aryens appartenaient à une élite qu’on ne pouvait atteler à une tâche aussi moche. Affa­mer le Juif et le désespérer, lui voler ses kopecks et se débarrasser de lui sans que ses lamentations atteignissent qui que ce fût, d’accord. Mais le transformer en cendres et en savon aurait amené à le considérer comme source de profits, donc être de valeur. Or, de l’avis de Rosenberg, rédacteur en chef du Stürmer, Einstein resterait à jamais un Youpin, un assemblage d’atomes participant au financement de la guerre et de surcroît — mais n’allez pas le crier sur les toits — au remplissage des poches de notre commandant et de son Mengele.

Cabriolet cependant se fichait de ces détails. Dans son esprit à la dérive, la viande qu’il dégustait s’apparentait à celle du porc — porc hitlérien s’entend, nourri des reliefs d’un festin de salopards, de monstres dont il aurait la peau, il se l’était juré.

Il se l’était juré le jour où il avait déposé sans un mot, sans une larme, et bien sûr sans la moindre émotion, sur le chariot de son four le corps de sa jeune femme.

 

 Page 118 - Irene Mengele

 

Alors que Herr Major Mordekhaï Kamersglück lui ouvrait la portière, elle dépliait ses jambes gainées de soie, tendait la main à l’officier qu’avait chargé son mari de la mener à lui. Et sûre de soi, habituée de longue date à ce qu’on l’enveloppât du regard et ne la quittât plus, elle jetait ses filets dans la transparence lumineuse, encore que légè­rement voilée, de ce milieu d’après-midi.

Lui prenant la main, je la gratifiai d’une courbette qui parut l’amuser. Elle me jaugea du regard des Aryennes buti­neuses, saines et entreprenantes, et que rien n’effarouche.

— Heil Hitler, braillèrent alors, dans une cacophonie de bastringue, les six pendards du comité d’accueil.

Cette fausse note lui parut-elle suspecte ? Elle sembla s’inquiéter, papillonna des cils, posa la dentelle d’un mou­choir sur un mignon museau que ridait un début de répu­gnance, et me cloua sur place :

— Qui sont ces gens ? m’interrogea-t-elle. Comme Josef, j’ai un flair à ce point développé que je puis affirmer que ce sont tous des Juifs, et que vous en êtes un vous aussi. Mais sans doute allez-vous me fournir l’explication que j’attends.

J’allais lui répondre, mais elle ne m’en laissa pas le temps.

— Qu’on me conduise à mon mari !

Ce n’était pas encore la tuile, juste un premier nuage. Rien de tragique, encore que le moindre faux pas risquât de déclencher la catastrophe. Je tentais de me ressaisir lorsque je vis mon cousin se rapprocher de moi, Myklos pendant ce temps glissant au fond de sa poche une main d’anesthésiste.

— Nous vous y menons sur le champ, Madame, répli­quai-je en retroussant ma manche afin qu’elle remarquât l’absence de matricule. En attendant…

— Mon mari d’abord, Monsieur… ?

— Rotterfeldzehn, chère Madame. Oberleutnant Klaus Rotterfeldzehn.

— Nous examinerons cela plus tard, Herr Rotenfeltsohn. Ainsi que les cas de ceux-là, ajouta-t-elle, désignant mon escorte ahurie. Et puis, poursuivit-elle en toute perversité, matricule ou pas, cela ne prouve rien. Il est en revanche, en un lieu que vous savez, Herr Roterfeldzähn, un signe qui n’a jamais trompé.

— Je la bute, ai-je glissé au cousin.

— Après que je l’aurai tronchée, m’a glissé à l’oreille ce délicat jeune homme.

 

 Page 132 - Knaube

 

Maintenus à leur poste sous la surneillance des détenus, les kapos filaient d’autant plus doux que les nazis chargés de leur surveillance n’étaient plus les Käperlich ni les Liedersfülck enregistrés à leur prise de ser­vice, mais les Cohen et les Spielmann qui avaient hérité de leurs uniformes à la faveur de bourrages dans les trieuses en charge de la gestion de main-d’œuvre.

La vérité travestie à une si vaste échelle, au sein d’une organisation on ne peut plus tatillonne, aurait dû éveiller les soupçons mais que dalle, du moins dans les premières semaines. Car nous apprîmes bientôt, de la bouche de Knaube, premier assistant de Höss, que deux jeunes fem­mes de la Gestapo, inquiètes de n’avoir pas revu (et pour cause) leurs fiancés rectifiés par nos soins, attendaient au portail qu’on les introduisît. Et comme Knaube, ironisant avec la finesse qu’on devine sur une introduction de pou­lettes (comme de juste en chaleur) dans les rangs de la garnison, se palpait l’entrejambe, nous lui proposâmes de nous rendre à la grille pour une enquête « approfondie » — terme qui le propulsa à de fabuleux sommets. Pour le titiller un peu plus, nous lui proposâmes, s’il nous confiait un appareil photo, de flasher les demoiselles.

— Alors nichons à l’air et culottes à la main, s’étouffa l’humoriste.

— Culottes, culottes… à condition qu’elles en portent, lâchai-je en quittant le bureau tandis qu’il frôlait l’infarctus.

 

Pages 149 - Gigot fermier 

 

 

La solution nous fut fournie par Guturdjieff, sous forme d’un souci dont je commençai par m’amuser. À jamais affamé, il venait d’engloutir une moitié de cochon et ne savait de quelle manière dissimuler le forfait, susceptible de le mener à la balançoire, c’est-à-dire à l’éclatement de ses bijoux de famille sous les coups de gourdins.

— Fameux coup de fourchette, l’engueulai-je.

— Lui naf naf tout pitit, herr Major. Minouscoule migon pitchoun pitis yeux tire-bouchon, plaida-t-il. Alors moi mange et partage avec femme.

— Femme… au singulier ?

— Trois. Trois agrrrikultivatchskaïa, finit-il par avouer, déployant quatre doigts. Vouloir elles bons morceaux, moi plus savoir quoi faire alors donner.

— Eh bien, plaisantai-je, remplace le cochon  consommé par un cochon sur pied.

— Toi posséder ?

— Moi posséder sa peau, regarde, lui répondis-je en ouvrant mon manteau sur mon costume de tueur.

J’avais dit cela sans réfléchir, mais voici que le bougre se prenait la tête.

— Cochon S.S., éructa-t-il soudain. Cochon nazi ça bon, ça génial, karrabarr !

Il enfourcha aussitôt la moto de Ziegefuss, revint une demi-heure plus tard porteur d’un sac où râlait un butor qu’il s’empressa de faire taire du tranchant de la main, puis d’un crochet que prolongea le craquement des cervicales. Il entreprit aussitôt de saigner son gibier et de le démembrer avant de le fendre dans sa hauteur — dans sa longueur plu­tôt puisqu’il gisait à terre.

— Le surplus, lui conseillai-je, tu l’emballes et le plan­ques au frigo. On en aura besoin.

— Jawohl, herr Majorrr, besoin pour nazis.

Pour nazis ?… D’abord, je ne compris pas… Mais peu après… eh oui, j’avais bien entendu : POUR NAZIS !

C’est ainsi que les S.S. de Birkenau, sitôt la mi-octobre, ravis que ses rations de viande ne leur fussent plus comp­tées, se repurent de morceaux prélevés sur leurs confrères saignés, équarris, stockés à Harmensee à côté des carcasses de moutons, de bœufs et de porcs dont les meilleurs morceaux enrichirent désormais l’ordinaire des détenus. Et tandis que nos hallebardiers suçaient sans le savoir la moelle de leurs frères d’armes, nos protégés dégustaient des côtelettes garanties d’origine, du bœuf bio et du gigot fermier. Au nombre de cinquante, les ruminants broutaient au bord de la Vistule, et deux troupeaux d’ovins mêlaient leurs voix de sopranos aux contraltos des bœufs.

 

Page 159 - Aliens 

 

Le cérémonial auquel nous assistâmes depuis le mirador central démarra sur des coups de sifflets, sur des exhibitions de casse-tête, d’épouvantables  aboiements. Devant un sombre déploiement d’Aliens, nous crûmes au démarrage de quel­que liquidation inédite et grandiose. D’autant que la troupe portait sur elle l’intégralité de son barda, et qu’il fallait envoyer se rhabiller ceux qui se ramassaient dans la boue et se relevaient merdeux devant leurs chefs. Car ce n’était pas en prédatrice que se rassemblait la horde, mais en hôtesse de quelque potentat venu juger, en ce matin de pluie, des progrès accomplis.

(…)

Himmler planta ses hôtes, se dirigea vers la nouvelle venue pour l’ho­norer du scintillement de ses verres avant de… mais non. Affublé qu’il était d’une sexualité déviante, il s’en abstint d’autant plus volontiers que la top model, le dépassant d’une tête, le ridiculisait aux yeux de la Schutzstaffel hypnotisée, disposée en carré. D’un mouvement du gant accompagné d’un éclair de lorgnons, il invita la chose à le précéder, la présenta à Höss, lequel claqua des bottes, leva sur fond de crémation le bras de la virilité nazie, éructa le plus puissant des Heil avant de s’incliner sans se casser la gueule.

Il s’agissait d’Irma Gröse, Oberführerine du camp de femmes de Ravensbrück, terreur des terreurs et idole, disait-on, de milliers de vierges blondes fiancées au Führer avant que leurs premières menstrues ne les fissent réfléchir et accepter, avec un soupçon de dépit, que les tronchassent les Schütz, puis qu’ils les épousassent et leur missent dans le tiroir le plus de nazillons possible.

 

 

Page 211 - Panique

 

Pour l’heure, en guise de pétales, ce fut une propagande parachutée qui se répandit en virevoltant dans les allées du camp. À en croire les gradés, il s’agissait de bobards, de mensonges rédigés dans un allemand si frustre que le moindre lampiste y découvrirait de lui-même l’incom­pétence yankee, et que personne n’eut l’autorisation de lire, pas même les S.S., et dont tout le monde prit connaissance, y compris ces derniers. D’où, parallèlement à une chute vertigineuse de l’indice de satisfaction de la troupe, une remontée spectaculaire du moral des détenus. Et pour cause : les alliés exigeaient à présent de retrouver en vie les millions de personnes passés par les cheminées…

Panique dans les états-majors, encombrements dans les circuits du commandement, sauve-qui-peut général sous un déferlement d’informations contradictoires, migraines dans la bauge dirigeante. S’il fut interdit à quiconque de se pen­cher sur cette littérature (à noter que ce quiconque plaçait aryens et sous-individus sur pied d’égalité), le haut état-major et le gouvernement d’un seul durent s’y plonger jus­qu’à n’en plus pouvoir, se réunir autour des lampes à huile pour des explications de texte, de fumeux examens de cons­cience, d’acrobatiques synthèses. Force était de constater les bévues du régime (interdiction cependant d’aborder le sujet), de mesurer la poisse en laquelle s’enfonçaient les Allemands sous la conduite de leur Führer (proscription identique), et de comprendre qu’il était encore temps de redresser la barre et de signer avec Churchill, en un mot sur le dos de Staline, un armistice permettant de planquer sous l’écrasement du bolchevisme l’image que les Allemands risquaient d’offrir d’eux-mêmes.

 

Page 223 - Hurlements

 

 

Et le spectacle continuait. Du Kanada jaillissait une troi­sième armada et des colonnes entières dérapaient sur la glace, arrivaient sur les fesses pendant que les combattants, hommes et bêtes mêlés, parfois même emmanchés et haletants, tentaient de surnager. Et si l’un des protagonistes s’inquiétait du pourquoi, du quoi que, du que qui, il n’avait pas le temps de s’interroger qu’il prenait une des balles qui sifflaient aux oreilles de chacun et ne per­daient pas toutes, mêlait alors ses hurlements au ramdam général pour la raison que son chien, qui venait de lui broyer le poignet, s’intéressait à présent à ses fesses. Et les molosses de faire de même dans leur langage à eux, et les Stücks d’applaudir à chaque nouvelle saignée, à chaque nouvelle peignée, ce qui se traduisit par un applaudissement unique, prolongé par l’écho.

 

Page 235 - Le Carnaval

 

Le 13 janvier donc, jour du Grand Karnaval, les cent dix mille participants se répartissaient ainsi :

L’encadrement aryen, qui rassemblait deux cents élus parmi lesquels nous autres, affublés du commandant Rudolf et de son successeur, Richard, tous deux accompagnés de leur épouse en fourrure.

La piétaille hitlérienne ensuite. Forte d’un millier de combattants qu’attristait la misère de ses pompes, elle ne put, par les vertus du schnaps distribué à la louche, qu’acquiescer à sa dégradation. À noter qu’elle avait déposé ses bottes, ses baudriers et ceinturons dans des paniers confiés à l’un des siens, le soldat Schnedr. Mais pour la récupération, inutile de s’en faire. Lorsque sonnerait la fin des réjouissances, plus aucun homme de troupe ne serait en mesure de vouloir quoi que ce soit.

Cette parenthèse pour finir : lorsque nous parlons de S.S. nous entendons également leurs légitimes, ainsi que les frangines qui se pendaient à leurs bras. Mais contrairement à ces messieurs, les dames s’étaient de bonne grâce, pour séduire à coup sûr, vêtues en Pompadour, en courtisanes Grand Siècle, en du Barry de peep-show. Drapées d’étoffes de tous grammages, longueurs et transparences, certaines laissant se deviner des formes à vous faire capoter, et la majorité d’entre elles coiffées de bibis évoquant le nirvana, elles roulaient et tanguaient sur des talons démesurés, exprimant de la sorte l’envie qu’on les tronchât. Les recrues les plus jeunes en louchaient, s’encourageaient de l’œil, finissaient par plonger. Sitôt le lot en main, ils en vérifiaient la texture, glissaient un œil charmeur au fond des échan­crures, se livraient à des attouchements qui faisaient se pâmer les drôlesses. L’orchestre du camp pendant ce temps, sous la direction de la nièce de Mahler, interprétait sur fond de puanteur des symphonies entrecoupées de tangos à vous faire rendre l’âme, de morceaux rappelant au bidasse de Hanovre le rembourrage à péter les plombs, là-bas, dans les guinguettes des bords de Marne, de petites femmes à ce point consentantes qu’ils se chopaient la trique, et qui les soulageaient en échange de bas de soie.

Face à ces étalons se bousculaient les survivants des peuples. Ceux qui tenaient debout comptaient fleurette aux détenues qui s’étaient ravaudées pour jouer les séductrices, dispenser aux épouvantails qu’elles serraient sur leur cœur une tendresse qu’elles-mêmes eussent appréciée, et que plus d’un leur offrait de bon cœur, même sans papier cadeau. Les quatre-vingt mille autres, bien qu’ils n’espérassent plus grand-chose de la vie, parvinrent à retrouver quelque cou­leur dans les bolées d’un cognac de synthèse que distri­buaient avec plaisir vigiles et surveillants. Certains parvin­rent ainsi à s’amuser, à donner à la fête une coloration qui permit de masquer, jusqu’au signal de mise en joue, nos menées de forbans.

 

 

Page 251 - Gazage

 

La suite ? Elle fut épouvantable. Entre les rats qui sau­taient sur les hommes et le chien, le chien qui se cognait aux hommes, les hommes qui inhalaient le gaz et se rou­laient par terre tandis que l’écume leur débordait des lèvres, que leurs paupières prenaient les couleurs de l’au-delà, on peut même affirmer qu’elle fut insoutenable. Pour échapper à cette horreur, dames Höss et Baer, sensibles à la souf­france d’autrui, s’enfouirent dans leurs fourrures tandis que leurs époux contemplaient le gibet. Quant à Mordekhaï et moi-même, jouissant d’une vengeance bien méritée, nous sommes restés jusqu’à la fin, jusqu’aux derniers soubre­sauts, jusqu’à ce que plus rien ne bougeât, ni les hommes, ni le chien, ni les rats. Ce fut d’autant plus instructif que ce n’était plus une poignée de nazis nous avions sous les yeux mais des milliers, des centaines de milliers de nos frères et de nos enfants, de nos parents et de nos cousins déportés, exécutés pour avoir osé être.

 

Page 266 - Sauve qui peut

 

— Deux directions impliquent deux groupes, avait calculé Rudolf Höss, pour le coup retrouvant son génie. Büroführer Mitburg, mettez en marche les Dehomag, pre­nez les cartes perforées dont les trieuses auront soustrait les tire-au-flanc, et dressez-moi deux listes de Häftlings en état de carburer. Exécution !

— Yawohl, expectora le drôle. Et de gagner le bureau de Grapner, de se placer devant les rayonnages où s’ali­gnaient, au-dessus de bécanes en rideau, quelques dizaines de milliers de bristols, d’en repérer le centre.

— Terminé, Herr Kommandant !

— Alors la moitié gauche pour l’Oberkolonneführer Haseweiss, décida Rudolf en se tournant vers un officier qui n’osa pas broncher, la moitié droite pour l’Obergrup­penführer Speschnak, qui n’osa pas non plus… À présent, Haseweiss et Speschnak, scindez en deux vos Oberkolon­nen, attribuez à chacune un Kolonnführer, lequel divisera sa colonne en sous-colonnes ayant chacune à sa tête un Untercolonnefüher, ceci jusqu’au sous-groupe et à l’Unter­groupführers. Compris ?

 

Page 280 - Berlin

 

Les seules clartés, dans les rues qu’on eût dit de Gue­rnica tant les moitiés de poussettes faisaient écho aux hurlements de mères, eh bien les seuls sourires, les seules lueurs dont pût encore s’illuminer la vie émanaient des panzers à pédales. Rien n’arrêtait le combat, les enfants le poursuivaient pendant que leurs génitrices, épouses des seigneurs du désastre, se chamaillaient pour un trognon, un rogaton à protéger de rongeurs surgis de la noirceur du monde. Quant aux chiens et aux chats, depuis longtemps engloutis dans de tristes ragoûts, leur avaient succédé les animaux exotiques traqués dans les bosquets et les allées du zoo, dans les jardins de la Chancellerie, jusque dans les bassins que s’étaient attribués crocodiles et iguanes.

Qu’il était magnifique, le Brigadeführer décapité par la mitraille alors qu’il jouait les snipers derrière l’hippo­potame ! Et celui-là, lancé à la poursuite d’un gnou fuyant la cuisine des armées ! Et pan, dans la bouse d’éléphant l’Oberroffizier Schafferhof, et paf, dans le pissou de rhinocéros le caporal Spiedel venu lui porter secours ; et ouille, ouille, ouille, le pied emporté par un tigre, le Feldmarschall qui n’ira pas plus loin, et aille, aille, aille, l’Oberst qui fléchit et s’écroule tandis qu’un vautour vient se poser sur une branche, l’observe d’un œil rond avant de lui chier dessus.

 

   Page 289Le Führer

 

En vertu de l’atavisme voulant que tout individu, même polyglotte, polydactyle ou polytechnicien, régresse devant l’image du Père, et quand bien même ce dernier tiendrait-il du garçon de café, à la rigueur du chef de rayon de quelque Bon Marché de province, je dois avouer que le Führer, bien que Frau Eva dût le soutenir, a fortement impressionné les humbles Juden, Musulmanner et Marxisten que nous redevînmes devant lui. Cela en raison de la flamme qui l’habitait, de la malfaisance émanant de sa personne, de la rage lui tenant lieu de pensée et le maintenant dans une férocité dont aucun prédateur n’aurait pu se prévaloir. Car il était plutôt mal fichu, le Terminator teuton. Membres fluets, front bas et pif de clown, moustaches à faire pleurer… En revanche deux yeux de sanglier, deux braises vous désignant un monde dont aucun chien ne voudrait.

De toute évidence, c’est par l’éradication de la joie, dou­blée de la négation du rire, que ce voyeur de la paille dans l’œil de son voisin, cet aveugle à la poutre que lui-même se trimbalait où je pense, a fait trembler le monde.

— Heil Hitler ! nous sommes-nous écriés.

Mais le vieillard à deux doigts du cyanure n’avait nulle envie de plaisanter.

— Wer sind Sie, und was wollen Sie ? éructa-t-il d’une voix rocailleuse tandis que nous avancions.

— Qui nous sommes ? Rien que ton pire cauchemar, lui répondit Guturdjieff en retroussant sa manche. Quant à ce que nous voulons…